PRÉSENTATION
La fin du XXe siècle culturel a été marquée par le renouveau de la marionnette, l’originalité de ses écritures, ses esthétiques de la scène et des formes, et l’adhésion du public aux créations contemporaines pour adultes, dans de vrais théâtres.
« La marionnette, c’est aussi pour les enfants ». Des marionnettistes se sont alors fortement engagés pour la reconnaissance de leur art sur le plan artistique, social, médiatique et institutionnel.
La Compagnie Daru (devenue Daru-Thémpô) participe de cet élan, après 20 ans d’itinérance et depuis son implantation régionale en Essonne. Ce livre présente 50 années de création de ses spectacles aux formes très diverses, vues par des dizaines de milliers de spectateurs de tous âges, dans des centaines de théâtres de France et d’ailleurs, et les actions culturelles associées. Il est écrit sur la base d’une multitude de documents, textes, souvenirs et photos qui font de cet historique illustré un témoignage fort et complet sur une vie consacrée au spectacle et à la marionnette.
S’y mêlent l’enthousiasme et le doute autant que l’opiniâtreté et le bonheur d’imaginer, de réaliser et de partager la création, dans le monde et au coeur de la décentralisation théâtrale, pour toutes les populations, de tous âges, dans un milieu culturel français âpre sous la coupe des professionnels de la diffusion culturelle qui tiennent les tenants et les aboutissants des moyens de la création professionnelle marionnettique, souvent au détriment de l’implantation des compagnies des marionnettistes.
L’auteur a été encouragé par celles et ceux qui accompagnent la Compagnie Daru, eux-mêmes œuvrant activement pour la marionnette et dans la culture. Leurs contributions dans le chapitre « Regards passeurs et complices », apportent un éclairage complémentaire à l’ensemble de cette autobiographie qui confirme que la marionnette est un art majeur du spectacle vivant. Protéiforme, inclassable, qui vit, meurt, renaît en se réinventant sans cesse, pour les publics d’hier et de demain, toujours à re-découvrir. Comme ses amoureux.
EXTRAIT DE LA PRÉFACE
… « La marionnette, ce n’est pas pour les enfants, pas plus que le conte. Et ce n’est pas contre eux non plus. Si tous deux finissent dans cette société par leur être quasi uniquement destinés, c’est qu’on veut absolument croire que la part d’enfance qu’ils détiennent et laissent agir, ne concerne qu’eux. Et que l’on colore ça, plus ou moins consciemment, d’une nuance stupidement péjorative.
Voilà le grand malentendu, ou plutôt la grande tricherie. Pour fabriquer un adulte privé d’imaginaire, celui auquel aspire cette société agonisante, qui dans son agonie rêve de trans-humanisme, il faut décréter que sa part d’enfance est enfantine, que son troisième oeil ne lui sert à rien.
Christian sait tout cela, marqué de façon indélébile depuis l’enfance par une succession de miracles qui l’ont maintenu en vie. Mais peu de gens ont accès à ce savoir, ici, aujourd’hui.
Tous les vrais amoureux du théâtre (et beaucoup d’autres), ont reconnu chez les marionnettistes des confrères, des ancêtres, des frères, parfois des maîtres. Qui font entrer le rêve dans le grand cabaret de la vie, là où tout est grave et dérisoire en même temps, comme devrait l’être notre perception de l’existence.
Christian sait cela, et ses ami.e.s compagnons de Daru avec lui.
Ils travaillent avec ça »…
Par Nicolas Roméas
Ancien journaliste France-culture - Directeur de L’Insatiable
L’AUTEUR
Christian Chabaud se présente comme un poly-marionnettiste passionné de spectacles et de marionnettes. Il a fait ses études aux Arts Déco de Paris (ENSAD), et co-fondé la Compagnie Daru en 1973, toujours en activité. Sa carrière artistique s’est orientée vers la mise en scène et la conception de spectacles conjointement avec Nicole Charpentier (co-fondatrice de Daru), en explorant des thèmes universels, des textes pré-textes de toute nature, en privilégiant le geste marionnettique, la mise en espace, les formes, des dramaturgies adaptées.
Membre actif de l’ex-Centre National des Marionnettes dissout en 1991 (aujourd’hui Themaa), il en fut l’un des présidents aux côtés d’Alain Recoing, Jean-Pierre Lescot, Philippe Genty, Dominique Houdart, Émilie Valantin et quelques autres, participant activement à la mise en place des grands projets structurants pour la marionnette, aujourd’hui en partie aboutis : l’Institut International, l’École initiés par Jacques Félix et Margareta Niculescu, le Théâtre de la Marionnette à Paris (Le Mouffetard), l’implantation régionale des compagnies.
Homme de compagnie, féru de transmission, il a été amené, au début du XXIe siècle, à postuler à la direction de l’Institut International de la Marionnette à Charleville-Mézières. Après l‘appel à candidatures (2002), il fut choisi unanimement par le conseil d’administration, le jury professionnel et les institutions (ministère de la culture, région, département, ville). Le ministre du moment refusa d’entériner sa nomination pour d’obscures raisons qui disent beaucoup de la démocratie, du milieu culturel et de la place des marionnettistes dans les lieux dédiés à leur art. Le critique de théâtre Gilles Costaz a synthétisé l’affaire dans un article exemplaire pour « Politis » (voir « Mon 101e souvenir »).
Aujourd’hui, Christian Chabaud, Nicole Charpentier, Philippe Angrand et Nicolas Charentin, développent les arts de la marionnette au sud de l’Ile-de-France au cœur de l’Essonne, grâce aux soutiens publiques nationaux, régionaux, départementaux, territoriaux et des villes partenaires, avec la contribution des artistes associés à la compagnie et des marionnettistes en résidence au Manipularium, la fabrique de leur Compagnie Daru-Thémpô.
LETTRE À LA COMPAGNIE DARU
Incroyable tout ce que l’on peut faire en un parcours artistique professionnel. Cela donne le vertige… Et si c’était à refaire, referiez-vous ce chemin ? Certainement, tant il a contribué à donner ses lettres de noblesse à l’art de la marionnette et la reconnaissance aux marionnettistes.
Anne-Françoise Cabanis
Directrice du Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de 2008 à 2020
EXTRAIT DU CHAPITRE REGARDS, PASSEURS ET COMPLICES
Nos chemins se sont croisés, re-croisés. Nous avons souvent fait causes communes, mais, au-delà des faits eux-mêmes, on peut aussi découvrir de nombreux échos, correspondances, liens secrets dans nos parcours aussi bien mentaux qu’artistiques.
Philippe Genty
Marionnettiste- Metteur en scène
LETTRE DE LA COMPAGNIE DARU PUBLIÉE PAR CHARLIE-HEBDO (17/12/1973)
« Art mineur, art mineur, est-ce que j’ai une gueule d’art mineur ? Forcément, art mineur, si vous écoutez parler mes assassins. Ils ont tué Guignol.
Ceux-là même que Guignol attaquait lorsqu’il n’était qu’un paillard canut lyonnais, lorsque Mourguet l’arracheur de dents, le forain, le menteur, le révolté, l’admirable, lui donnait son âme. Ceux-là même qui l’ont accepté, l’ont pris avec eux, l’ont manipulé, trompé, télévisé et l’ont lâchement assassiné derrière un coin de castelet.
Des bouts de bois cassés ils ont fait une copie. Des bouts de mots cassés ils ont fait un long discours plâtreux. Ils ont fait de Guignol un pâle divertissement pour des enfants amputés de leurs rêves. Ils ont cassé la marionnette.
Tous, vieilles mémères qui l’ont enterré dans leur salon dans des tas de
chiffons, faux hâbleurs en long et en large, discoureurs qui me rangent au rang de piètre copie de l’acteur, déserteurs, relaps et autres traîtres. Et pourtant, approchez !
Voyez mes grands êtres caverneux de deux mètres cinquante, mes insectes monstrueux, regardez mes mains, mes masques. Écoutez mes cris vibrants, mes grognements profonds…
À moi Yves Joly ! À moi le Bread and Puppet ! À moi Hubert Jappelle ! À moi, vous toutes et tous de la marionnette ! À l’aide ! Écoutez parler le silence. Portons le vide de place en place au bout de nos doigts. Et vous, les assassins, gare ! ».